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L’accomplissement de soi et la psychologie existentielle

L’accomplissement de soi et la psychologie existentielle

Si les psychothérapies soignent les conflits intrapsychiques, l’origine de ces derniers ont des origines différentes selon la psychologie considérée.

Ainsi, pour Freud et la psychanalyse, le conflit naît de l’antagonisme entre d’une part (i) les pulsions qui gouvernent l’individu et qui proviennent du « çà » inconscient dont l’orientation est la recherche du plaisir et de la satisfaction et d’autre part (ii) le « moi » qui obéit au principe de la réalité du monde externe et qui est contrôlé par (iii) le « surmoi » faisant partie du monde interne de l’individu et dont la responsabilité consiste à établir ce qui est permis ou pas au « moi ».

Quant à la psychologie existentielle, elle met avant tout l’accent sur un autre type de conflit fondamental, celui qui survient lors de la confrontation de l’individu aux fondamentaux de l’existence, à certains enjeux ultimes, certaines caractéristiques intrinsèques qui participent, sans échappatoire possible, de l’existence d’un individu dans le monde. 

Dans ces enjeux ultimes, comme l’explique Irvin Yalom, figurent : la mort, la liberté, l’isolement fondamental et l’absence de sens.

La mort est l’enjeu le plus facilement appréhendable dans la mesure où nous existons aujourd’hui mais un jour nous cesserons d’être. 

Et cela provoque une véritable terreur car comme le dit Spinoza : « chaque chose, en tant qu’elle est en soi, cherche à persister dans son être ». 

C’est cette tension entre la conscience de l’inéluctabilité de la mort et le désir de continuer à être qui crée un conflit existentiel, source potentielle de psychopathologie.

La liberté est au premier abord souhaitable contrairement à la mort mais elle recèle aussi en elle une angoisse à l’origine d’un conflit existentiel potentiel. 

En effet, dans son acceptation existentielle, la liberté renvoie à l’absence de structure externe, élément dont l’individu a absolument besoin comme l’indique Eric Berne en Analyse Transactionnelle dans ses besoins fondamentaux et entre autres dans le besoin de structure.

La liberté, c’est avant tout une responsabilité pour l’individu, la responsabilité de son monde, de son projet de vie, de ses choix et de ses actions mais au prix d’une satisfaction moins importante de son besoin de structure comme si « le sol se dérobait quelque peu sous ses pieds ».

Le troisième enjeu ultime est constitué par l’isolement fondamental, c’est-à-dire l’isolement de l’individu par rapport au reste du monde, c’est-à-dire tous les autres, en ce sens que chacun de nous arrive seul en ce monde et doit le quitter tout aussi seul.

Enfin, et non des moindres, le quatrième enjeu ultime qui est l’absence de sens. L’absence de sens de la vie, de sa vie, enjeu ultime qui met en opposition un individu avide de sens mais parachuté malgré lui dans un monde qui en serait dépourvu.

Selon Irvin Yalom, le sens a deux dimensions essentielles : la signification et la finalité. 

En tant que signification, le sens renvoie à la cohérence et en tant que finalité, le sens renvoie à l’intention. Le contraste entre la cohérence et l’intention peut également s’exprimer en opposant le sens cosmique au sens terrestre. 

En effet, le sens cosmique se nourrit de la réponse à la question « quel est le sens de la vie ? ». Il interroge en cela la façon dont la vie s’intègre au sein d’un schéma cohérent. Par contre, le sens terrestre implique une réponse à la question « quel est le sens de ma vie ? » et inclut donc une dimension de finalité.

Dit autrement, le sens cosmique implique l’existence d’un dessein extérieur et supérieur au sujet et renvoie, en cela, invariablement, à un ordre magique alors que alors que le sens terrestre a des fondements séculiers et permet d’exprimer un sens personnel à sa vie sans recourir au sens cosmique.

Selon Irvin Yalom, celui qui recourt à un sens cosmique trouve en général aussi un sens terrestre à sa vie car il s’agira d’harmoniser le sens terrestre à ce sens cosmique et appréhender la vie comme une symphonie dans laquelle chaque individu joue une partie instrumentale distincte. 

Toujours selon Irvin Yalom, l’approche scientifique de notre monde a remis en question la conception d’une existence appréhendée comme extérieure à l’individu relevant d’un absolu abstrait, rendant plus difficile l’adhésion à un système pourvoyeur de sens cosmique.

Depuis la progression du scientisme, l’individu recherche dès lors encore plus un sens terrestre à son existence. 

Les existentialistes que sont Albert Camus et Jean-Paul Sartre ont malgré tout exprimé leur vision du sens terrestre.

Pour Albert Camus, l’être humain atteint pleinement sa dimension humaine en faisant face avec dignité à l’absurdité. Albert Camus préconise une rébellion fière contre la condition d’être humain basé sur des valeurs claires et des lignes de conduite précises. Il promeut ainsi les valeurs de courage, rébellion empreinte de fierté, solidarité fraternelle, amour et « sainteté » séculière.

Pour Sartre, dont sa conception du monde dépourvu de sens est inflexible, un sens terrestre est également dégagé. Ainsi dans Oreste, on voit ce dernier faire le saut de l’engagement dans l’action, dans un projet. Oreste est finalement heureux d’avoir trouvé sa liberté, sa mission, sa voie. Il découvre qu’il n’existe pas de sens absolu mais qu’il est seul et doit être lui-même l’artisan du sens qu’il donne à sa vie. Pour Oreste, la finalité ultime de son existence est finalement le voyage qu’il décide d’entreprendre vers lui-même.

A l’image d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre qui tous deux considèrent qu’il incombe aux êtres humains d’accepter la responsabilité d’avoir à inventer eux-mêmes le sens de leur vie sans se référer à un sens cosmique, de nombreux systèmes existentiels identifient différentes activités séculières qui peuvent conférer aux êtres humains un sentiment de finalité :

  • l’altruisme basé sur la croyance selon laquelle donner , être utile aux autres et rendre le monde meilleur pour les autres confère du sens à sa vie ;
  • le dévouement à une cause qui au travers de l’opportunité de contribuer à quelque chose donne aussi un sens à notre vie ;
  • la créativité avec la création de quelque chose empreint de nouveauté, beauté et harmonie sans négliger l’aspect découverte de soi au travers des ouverture suscitées en nous par l’œuvre créée ;
  • l’hédonisme qui consiste à considérer la recherche du plaisir comme une fin en soi ;
  • l’actualisation de soi qui consiste à tendre vers son potentiel inné comme le préconisait déjà Aristote avec la réalisation de son être et plus tard Abraham Maslow. Ce dernier précisait, qu’une fois ses besoins de base comblés, l’individu se tourne tout naturellement vers ses besoins d’actualisation qui recouvrent des besoins cognitifs comme le savoir, l’intuition, la sagesse et des besoins esthétiques de congruence, symétrie, intégration, beauté, méditation créative et harmonie. 

Si Abraham Maslow répond à la question « pourquoi vivre ? » par l’actualisation de soi, il développe également une réponse à la question « sur quoi fonder notre existence ? » par la promotion de valeurs d’être qui selon lui sont propres à l’être humain, sont intégrées dans son organisme et doivent être découvertes de façon intuitive en faisant donc confiance à la sagesse de l’organisme humain. Parmi ses valeurs communes à l’humanité, Abraham Maslow cite la globalité, la perfection, l’accomplissement, la justice, la simplicité, la bonté, la beauté, l’unicité, l’espièglerie, la vérité, l’honnêteté, l’autonomie ;

  • la transcendance de soi que l’on trouve dans des activités qui transcendent son propre intérêt et qui font se tourner vers quelque chose ou quelqu’un « en dehors » ou « au-dessus » de soi, ce dernier système présentant une intersection non vide avec les trois premiers systèmes que sont l’altruisme, le dévouement et la créativité. 

Il faut noter qu’Abraham Maslow a requalifié à la fin de sa vie les besoins d’actualisation de soi. En effet, dans son livre « Vers une psychologie de l’être », A.Maslow décrit une étape de développement de la transcendance de soi où l’individu peut devenir « sans ego », insistant sur le fait que l’actualisation de soi est avant tout égoïste et qu’elle ne ferait que être un rite de passage sur le chemin de la transcendance où l’ego se dissoudrait. 

Selon Abraham Maslow, les individus qui satisfont leurs besoins de transcendance de soi s’identifient à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes et s’engagent au service des autres pour « le bien des autres ». Ces individus sont animés par une force ou une cause considérée comme extérieure à eux, transcendant ainsi les limites géographiques de leur propre personne.

Contrairement à Irvin Yalom qui embrasse l’ensemble des quatre enjeux ultimes existentiels, Viktor Frankl considère que toute pathologie existentielle relève exclusivement chez l’individu d’un déficit de sens donné à sa vie. 

Selon Viktor Frankl, ce dont l’être humain a besoin est de tendre vers un but valable qu’il voit comme transcendant à l’individu.  

Viktor Frankl disqualifie ainsi le principe d’homéostasie et adhère au paradoxe hédoniste qui prône que le plaisir non transcendant se révèle toujours contraire au but recherché. 

Il réfute également l’hypothèse émise par Adler comme quoi la recherche de puissance serait le facteur principal de motivation chez l’être humain. 

Viktor Frankl n’adhère pas non plus à l’hypothèse freudienne comme quoi nous serions poussés par des pulsions. Selon lui, nous sommes aspirés par une force qui nous invite à tendre vers quelque chose de transcendant à l’extérieur de nous. Cette aspiration, que nous sommes libres ou pas d’accepter, est orientée vers l’avenir en ce sens que l’individu est attiré vers ce qui doit advenir plus que poussé par les forces impitoyables du passé et du présent. 

Enfin, selon Viktor Frankl, le sens de la vie d’un individu est à découvrir et non à inventer. Viktor Frankl va encore plus loin estimant qu’il existerait un Dieu, auteur d’un sens prédestiné que chaque individu est invité à découvrir et à accomplir, précisant que si ce sens n’est pas directement intelligible à l’individu c’est parce que ce dernier se trouve dans une dimension qui est au-delà de son mode habituel de compréhension.

Il est également important de noter comme le soulignait Erik Erikson qu’une évolution progressive du sens se produit tout au long du cycle de vie personnel. Tandis qu’à l’adolescence, au début et au milieu de la vie adulte, un individu s’attache avant tout à livrer des batailles personnelles pour asseoir une identité stable, à développer des relations intimes et à atteindre un sentiment de maîtrise dans ses activités professionnelles, ce même individu, autour de la quarantaine ou cinquantaine, passe à une étape où il puise le sens de sa vie dans des entreprises qui transcendent le soi, étape qu’Erik Erikson qualifie de « générativité » marquant un intérêt pour la génération suivante et son éducation. Dans cette étape, c’est avant tout la transmission qui importe.

Selon Irvin Yalom, notre besoin insatiable de sens trouverait ses racines dans notre mode de capacité à percevoir les choses et dans notre besoin de disposer de valeurs pour décider.

En effet, des recherches ont montré que notre organisation perceptuelle neuropsychologique est telle que nous élaborons instantanément des schémas d’organisation des stimuli aléatoires que nous recevons. Lorsque nous percevons des données comportementales, nous y attribuons un sens en l’intégrant à un cadre de référence explicatif qui nous est familier. Lorsque nous ne parvenons pas à organiser de la sorte des stimuli ou des situations, nous éprouvons de la tension, de l’agacement et du mécontentement. Cette dysphorie perdure jusqu’à ce qu’une compréhension totale nous permettre d’intégrer cette situation à un cadre plus large et identifiable. 

Et nous appréhendons notre situation existentielle de la même manière que nous faisons face et organisons des stimuli et des évènements aléatoires de notre quotidien. Nous éprouvons de la dysphorie face à un monde indifférent que nous ne parvenons pas à identifier. Nous recherchons alors des schémas, des explications ainsi que le sens de notre existence. Lorsque nous ne sommes pas en mesure de trouver de schéma cohérent, nous éprouvons de l’agacement et du mécontentement mais aussi de la vulnérabilité. Le sens, lorsque nous le trouvons, confère toujours un sentiment de maîtrise et en cela, un schéma signifiant qui, quand bien même impliquant l’idée que nous sommes faibles, vulnérables ou remplaçables, est toujours plus confortable que l’état d’ignorance.

Nous aspirons au sens et sommes mal à l’aise en son absence. Chacun de nous découvre une finalité et s’y accroche de façon désespérée. 

Pourtant, cette finalité que nous créons ne nous soulage pas efficacement de notre malaise si nous continuons de nous souvenir que nous en sommes l’instigateur. Il est bien plus réconfortant de croire que le sens est là « dehors » et que nous n’avons fait que le découvrir. 

L’autre raison à notre besoin vital de sens est la nécessité de se guider dans la vie au travers de valeurs qui à leur tour agissent en synergie pour accroître notre sentiment de finalité. 

Selon Irvin Yalom, les valeurs répondent à la question de Tolstoï : « comment devrais-je vivre ? ». Ou encore : « sur quoi fonder ma vie ? ». 

Questions qui toutes exprimaient le besoin de valeurs, c’est-à-dire d’un ensemble d’orientations ou de principes qui lui dicteraient sa vie. 

On peut aussi définir une valeur comme : « la conception, explicite ou implicite, chez un individu ou un groupe de ce qui est « désirable » et qui influence le choix de modes, moyens et finalités d’actions disponibles ». 

En d’autres termes, les valeurs constituent un code sur la base duquel il est possible d’établir un système d’actions. 

Elles nous permettent d’organiser des modes comportementaux possibles au sein d’une hiérarchie d’approbation-désapprobation. 

En fait, l’individu se constitue grâce  à des décisions constantes mais l’individu ne peut prendre une décision « de novo » toute sa vie et a dès lors besoin de méta-décisions, décisions qui doivent être prises et qui servent de principe organisateurs pour les décisions ultérieures. 

Si tel n’était pas le cas, une grande partie devrait être consacrée aux affres de la prise de décision. 

Les valeurs permettent aussi à l’individu à exister au sein de groupes conférent à la vie sociale un élément de prévisibilité indispensable à la confiance et à la cohésion. 

Par ailleurs, les individus appartenant à une même culture partagent certaines conceptions de ce « qui est » à partir desquelles elles élaborent un système de croyances commun de « ce qui doit être fait » et très vraisemblablement de ce qu’ils vont faire.En conclusion, la psychologie existentielle explique pour une grande partie nos névroses par un manque de sens qui peut se trouver au travers de la transcendance de soi, elle-même condition sine qua none de l’accomplissement de soi.